« Relève forcée et STO dans le Rhône… »

sa communication étant cadrée « Relève Forcée et STO dans le Rhône (1942-1944) », Michel Gratier de Saint Louis ne s’attarde pas sur la période 40 –mi 1942 , celle du volontariat en ce secteur qui était alors la « zone libre ». On en retiendra cependant que les organismes installés à Lyon, que ce soit le Centre en France des Organisations Economiques Allemandes puis, en mai 1942, la Commission de Contrôle Allemand et la Direction Régionale de l’Office de placement oeuvrent pour envoyer des ouvriers en Allemagne en s’appuyant sur les Offices du Travail Français ravalés par Vichy au rôle de rabatteurs (…) Malgré un matraquage publicitaire, la campagne de recrutement est un fiasco. L’annonce de la Relève des Prisonniers par Laval en juin ne mobilise pas la population rhodanienne. La police souligne que sur les 523 ouvrières et ouvriers partis de Lyon le 26 juin et sur les 710 du 3 juillet, 80% des volontaires sont des Nord-africains et que la misère est la cause des départs .

Mais le Gouvernement de Vichy veut, au printemps 1942 « que l’entité administrative qu’il a créée autour d’un Préfet Régional devienne la Région témoin de la zone sud et que le Rhône soit le département pilote ».

Le Rhône c’est alors 928.400 habitants – dont 370.000 actifs dans la zone urbaine de Lyon – avec une forte concentration industrielle et de services… ce sont eux qui constituent le réservoir dans lequel la Relève Forcée et le STO puiseront.

Avec la loi du 4 septembre 1942 sur « l’orientation de la main-d’œuvre » on entre dans la Relève Forcée. Et vichy pour frapper fort délègue Bichelonne, ministre de la Production Industrielle, accompagné du ministre allemand Schleier pour s’adresser à 200 patrons réunis à Lyon et pour, à Villefranche-sur-Saône, avec le Préfet régional et des industriels locaux, préparer les premières opérations.
Dans quel climat particulier au Rhône ces réquisitions vont-elles s’effectuer ? Trois attitudes méritent d’être retenues :

Celle de l’administration : « Préfet régional, Inspecteur de la Production industrielle, et surtout l’Inspecteur divisionnaire du Travail Pierre le Hern (qui manifeste une activité débordante tous azimuts) s’activent pour dresser les listes d’ouvriers réclamés par les allemands en insistant sur l’urgence des opérations de Relève ».

Celle des patrons : « Ils avaient accepté le principe des travailleurs volontaires moins par conviction que comme témoignage de confiance à l’égard de Vichy. Leur comportement va –pour certains- se modifier car la collaboration d’Etat, du fait de la réquisition d’un potentiel d’ouvriers qualifiés, entre en conflit avec les intérêts de leurs propres entreprises. Ceux qui oeuvrent déjà pour l’Allemagne –et sont assurés de commandes et protégés – se montrent disposés à aider le gouvernement de toute leur autorité. Les autres, essentiellement le petit patronat, considèrent les prélèvements non compensés comme une injustice porteuse de colère et de contestation et laisse à l’Inspecteur du Travail « la responsabilité des désignations à faire ».

Deux attitudes aux antipodes illustrent cette situation. « Parmi ceux qui tentent de protéger leur personnel et qui s’appliquent à entraver les réquisitions, l’Historien cite notamment M.Victor Vermorel (qui sera interné, gagnera le Vercors ou il sera tué en juillet 44) et le directeur de son entreprise, M. Henri Renot (qui sera déporté à Neuengamme).

A l’opposée « la dynastie des Berliet dont un fils, Jean, conseille au Préfet d’attendre le vendredi après-midi pour afficher la liste des requis, ainsi une tentative de protestation sera plus aisément jugulée ; il suggère de procéder à des désignations de groupes importants et, délateur, n’hésite pas à préparer une liste d’individus pouvant être considérés comme agitateurs ».

Un autre de ses frères, Henri, constituera à l’usine de Vénissieux un groupe de choc pour aller travailler à l’usine Bessing en Allemagne.

Celle de la population : Déjà, en septembre, le Préfet régional regrette l’état d’esprit franchement hostile de la classe ouvrière à l’égard de la Relève Forcée… « le 13 octobre 1942, l’affichage d’une liste de 42 requis aux ateliers SNCF d’Oullins déclenche une grève qui va s’étendre aux autres dépôts de la Région. Le 14 , près de 3800 cheminots ont cessé le travail et les transports ferroviaires sont paralysés. Si la grève des cheminots suspendue le 15 après intervention du ministre des Transports, le mouvement repart dans la métallurgie ou d’autres listes s’affichent…il a gagné la Sigma, la Somma, Bronzavia, Berliet, Paris-Rhône, Zénith, soit près de 12.000 ouvriers. Le 16, juin un tract cosigné par Combat, Libération, Franc-tireur, le Front National et le PCF exige : Pas un homme pour l’Allemagne… Le 17 , un samedi, marque la fin du mouvement malgré un appel à la grève nationale .

« Ce mouvement des ouvriers Rhodaniens, remarquable par son ampleur ne trouve pas d’écho dans une presse asservie par la censure ; quant au Président du syndicat patronal de l’Union de la Métallurgie du Rhône, il appelle ses adhérents à la répression : La grève est toujours une atteinte grave à l’autorité du Chef d’Entreprise…, il n’est pas possible que ceux de vos agents pris en flagrant délit de pression sur leurs camarades afin de les contraindre à abandonner le travail, conservent leur place dans l’atelier ».

Le bilan de la Relève Forcée en Région Rhodanienne s’est finalement soldé par un échec. « La 1e action de Sauckel imposait un contingent de 13.000 hommes pour le 31 décembre 1942 ; la seconde action 24.000 pour fin février 43 soit au total 37.000 hommes. L’estimation proposée donne 4050 départs d’ouvriers soit 11% du contingent réclamé, dont 2800 pour le département du Rhône ».

La loi du 16 février 1943 qui, par le biais de la conscription, crée le Service du Travail Obligatoire trouve une administration rhodanienne toujours zélée (du moins dans les premiers mois) et marquée par les incidents d’octobre 1942 d’où une volonté d’aller vite « pour résumer, un garçon recensé le 25 février passe la visite médicale le 1er mars, la Commission le désigne le 3 mars, le convoque le 5 au bureau de placement. Le 7, il embarque pour le Reich ».

Les Directions Régionale et Départementale du Rhône qui ont pris le relais de l’Inspection du Travail deviennent une énorme machine à produire des fiches, des classements, des taxations, des circulaires. Les conflits d’autorité surgissent, le Préfet régional considère que la réussite du STO dépend, avant tout, de la constitution minutieuse de fichier nominatif départemental et de fichier numérique régional réalisés lors de l’établissement du certificat de travail dont tout Français actif de 18 à 50 ans doit être porteur. La multiplicité des manipulations du fichier rend le sabotage plus aisé. C’est à ce sabotage qu’à partir de juin 1943 s’emploie Robert Ladel, Directeur départemental du STO, avec l’aide de Jean Babe et d’employés membres du NAP-STO ; noms mal orthographiés, adresses incomplètes rendant impossibles les recherches, fiches détruites, fiches de réfractaires fictifs.

Le département du Rhône devait fournir 6035 hommes pour le 30 avril 1943 ; à cette date 5531 jeunes sont partis dont 5451 pour le seul mois de mars… Avec une réalisation de 92% fin avril, le STO apparaît là comme une réussite. Si lors des pointes des 7,8,12et 15 mars, Marseillaise et Internationale ont été entonnées dans les trains, et les slogans A bas Pétain ! Laval au poteau ont fusé à la gare des Brotteaux, le bouclage policier et l’isolement des partants ont fait que les troubles ne sont pas allés plus loin.

Moindre sera le succès de la 3e action Sauckel réclamant 6675 hommes sur la région pour le 30 mai 1943 ; au 10 juin, seulement 20% du contingent sont partis bien que les chantiers de jeunesse aient été requis collectivement (entre mai et juillet, ils entrent pour 35% dans les départs.) Il faut savoir que « le secteur industriel protégé accueille de nombreux réfractaires – 1511 des classes 39 à 42 du Rhône sont employés dans des usines Rûstung, 161 autres sont mineurs de fond ; les mines de la Loire se révèlent un excellent refuge : entre octobre 43 et mars 44 les classes 39/42 constituent 36% des embauches de la période et, par précaution, les jeunes des classes 43/44 représentent 42% des embauches. De plus dans le dernier trimestre 43 les S.Betreb se multiplient, on comptera 200 qualifications entre le 20 octobre et le 20 novembre.

Après l’opération Peignage des Entreprises de février 44 (objectif 4000 hommes) et la chasse « aux oisifs » et aux étrangers - Italiens et Espagnols – les réquisitions cesseront définitivement le 26 juin 1944.

En définitive sur un contingent d’environ 16.700 hommes pour le département seulement 8.835 (près de 53%) sont partis Outre-Rhin ; les 2/3 en mars et avril 43. Même médiocre le résultat est meilleur que celui de la Relève Forcée.

 

 


 

Quelques Chiffres :

Contingent total des requis pour le département du Rhône (Relève Forcée et STO) : de 35 à 37.000 hommes.
Partis : 11.635 soit près de 1 sur 3.

Malgré son poids démographique, le Rhône représente moins de 2% du total estimé des prélèvements de main-d’œuvre en France.

Deux réfractaires sur trois se sont simplement cachés et 20% seulement ont gagné des maquis actifs.

 

 


Le phénomène du réfractariat a donc été relativement fréquent malgré les nombreuses pressions qu’ont pu exercer sur les requis leur famille, la hiérarchie catholique, les cadres CJF et les autorités. La légende qui perdure et qui fait du STO le grand pourvoyeur du maquis n’a pas été vérifiée dans le Rhône.