« Le Calvados à l’heure allemande »

Si le sujet demeure le même, les données locales sont totalement différentes lorsqu’il s’agit de l’examiner côté Calvados après l’avoir étudié sous l’angle du Rhône.

Cette fois-ci, au lendemain de la défaite, nous ne sommes plus en zone libre mais en zone occupée d’autant plus sensible que la Normandie Côtière est incluse dans le programme hitlérien de « l’Atlantikwall », cette ligne de fortification connue sous l’appellation « Mur de l’Atlantique ». Que, par ailleurs, démographiquement (avec ses 404.000 habitants dont 119.500 actifs), le Calvados pèse moitié moins que le Rhône et que son activité dominante est l’agriculture (41% des actifs en vivent) même si la mutation industrielle (métallurgie, électro, mines de fer, chimie et armement) était en développement.

Dans une communication qui eut à souffrir des astreintes horaires, Madame Françoise Passera met bien en évidence les particularismes de « la Relève volontaire et forcée dans le Calvados ».

De la phase initiale, celle de la Relève volontaire, on retiendra que « si le département n’a pas échappé au grand désordre économique provoqué par la débâcle de 40 - arrêt brutal des matières premières, démantèlement des usines, fermeture des mines – les activités ont repris dès le printemps 1941. Les commandes allemandes, l’arrivée massive des troupes d’occupation, le lancement du Mur, la réouverture des Chantiers navals de Blanville au profit de la Kriegsmarine aspirent la main-d’œuvre locale dès le printemps 1941 ».

Pour tenter de récupérer des ouvriers métallurgistes à envoyer en Allemagne « le Dr Schultz impose des horaires hebdomadaires de 48h dans les mines et à la SMN dès mai 1942… cette augmentation permettra seulement de pallier le déficit d’ouvriers spécialisés ».

Le piètre recrutement d’ouvriers spécialisés volontaires – il y avait eu seulement un assez gros départ fin 40 début 41 après la fermeture des mines , notamment de mineurs d’origine étrangère – « et l’attitude courageuse du Préfet Henri Graux lors de la prise d’otages et leur déportation en répression des attentats d’Airan en mai 1942 (le déraillement de plusieurs trains avait provoqué la mort de soldats allemands permissionnaires) conduisent à l’éviction du préfet.

Plus coopératif son remplaçant, Michel Cacaud, n’arrivera qu’en juillet et la Commission pour la Relève ne fonctionnera qu’en septembre. Pour combattre ce laxisme, la presse est sollicitée « et le terrain occupé par les partis et mouvements de collaboration ».

Le tristement célèbre discours de Laval le 22 juin provoque un électrochoc, « même le sous-préfet de Bayeux, gendre de Gaston Bruneton regrette la petite phrase ».

Dans les villes et régions industrielles les premiers retours des Prisonniers ne dissipent pas le scepticisme ; « il en va différemment dans les milieux agricoles d’autant qu’après le raid allié sur Dieppe le 19 août 1942, Hitler a fait libérer les prisonniers de la région ». Quel bilan peut-on dresser de cette Relève Volontaire en Calvados ? Si l’on s’en tient aux seuls chiffres, on peut parler « d’un petit succès dans un contexte politique et économique assez défavorable aux départs volontaires : le 2000e volontaire est enregistré le 30 juin et, entre le 20 juin et le 30 septembre, 850 contrats ont été signés soit, suivant le Préfet, une augmentation de 120%. Une analyse plus fine des partants modère le succès. 37% sont des femmes employées comme manœuvres et 37% des désœuvrés sans formation… Les spécialistes se limitent à 2 à 300. Les OS fuient leur entreprise par crainte de volontariat forcé ou refusent de signer. Le Préfet évoque leur ancienne idéologie, ceux qui étaient à la tête des grèves de 1936 n’entendent pas se porter volontaire ».

 


 

La promulgation, le 4 septembre 1942, de la loi-cadre sur l’orientation de la main-d’œuvre démontre l’échec du volontariat… mais en même temps la sensibilité de Vichy « Alors que les réquisitions de main-d’œuvre sont condamnées par la loi internationale, Sauckel pouvait être satisfait d’avoir imposé en France un moyen légal pour se procurer des travailleurs puisque le gouvernement lui-même s’engageait à fournir la main-d’œuvre ouvrière. Une loi qui sera utilisée jusqu’à la fin de l’occupation avec l’extension progressive des classes d’âge et des besoins.

Cette première opération Sauckel, « Relève Forcée » se traduit « pour la région de Rouen à une demande 9.924 travailleurs dont 6.624 spécialistes dont 970 OS et 700 manœuvres en Calvados, pourcentage très lourd.

Même s’il conteste à mots couverts la prise en main de l’opération par le Préfet de Région, « Michel Cacaud doit faire ses preuves ».

La commission de propagande se réunit et, fin septembre, entame une tournée des entreprises notamment métallurgiques.

Bien qu’appuyées par une lettre du Préfet aux Directeurs des usines, ces visites appelant au volontariat ne donneront « entre octobre et décembre 1942 qu’environ 300 départs dont 100 femmes ».
C’est trop peu pour la FeldKommandantur qui décide une taxation dès le 6 octobre, « signifiant la nécessité de commencer immédiatement la réquisition des spécialistes. Le service de la main-d’œuvre allemand lance une opération commando sur tout le département », il en ressort un conflit de procédure avec l’administration française.

« Les départs en équipes préconisées par Bichelonne s’appliquent entre la société métallurgique de Normandie et Krupp à Essen et Geiswerde Eisenwerk à Bochum ; 130 OS requis partent pour l’Allemagne accompagnés de cadres et d’ingénieurs ».

Face à ces méthodes se produit « un véritable exode des ouvriers vers les secteurs protégés et l’agriculture ; fin 42 il ne reste plus que 829 ouvriers à la SMN qui, en 1939 en comptait 4.500. Bien que sa production soit réservée à l’Allemagne, le secteur protégé n’échappe plus aux réquisitions fin 1942. A la veille de Noël, le Préfet Cacaud se félicite du départ de 1.000 spécialistes…alors que l’occupant n’en avait demandé que 970 ! ».

 


 

« La guerre totale proclamée par Hitler le 13 janvier 43 et l’enrôlement massif des Allemands dans la Wehrmacht annoncent de nouveaux plans de réquisition ». Non seulement les nazis réclament 150.000 OS et 100.000 manœuvres pour le 15 mars mais ils refusent de modifier les pourcentages d’échange prisonniers de guerre, main-d’œuvre trop précieuse ».

C’est ce que Bichelonne confirmera en présentant la nouvelle loi sur le STO du 16 février 1943. « Le processus autoritaire de réquisitions est maintenu sous mainmise allemande, l’Inspecteur du Travail ne dispose même pas de la liste des entreprises protégées ; les abus se multiplient en Calvados, des jeunes sans formation professionnelle, des PG libérés depuis plus de six mois ou au titre de la relève, des AC de 14-18 sont requis… ».

Tant et si bien que la loi du 16 février, en Calvados « permettra surtout de combler les postes laissés vacants par les requis du secteur protégé : 347 jeunes des classes 40,41,42 y sont affectés,295 envoyés sur les chantiers du Mur de l’Atlantique, 386 dans des entreprises diverses… seulement 260 jeunes requis au titre du STO partiront pour l’Allemagne ».

Le bilan de ce que Françoise Passera qualifiera de deuxième relève donne pour la Région de Rouen : 92% de la taxation (celle de Rennes s’est limitée à 57%). Le Calvados est un modèle puisque 1.800 travailleurs devaient être fournis et 2.058 sont partis (1.220 spécialistes, 838 manœuvres dont 156 femmes et 260 jeunes du STO).

 


 

 

Elargissant son étude, l’Historienne soulignera que « cette seconde Relève du Printemps 43 diffère essentiellement de la première par la portée politique et psychologique que le gouvernement de Vichy entend lui donner ». Et de constater pas de déferlement de propagande, retour des prisonniers relégué au second plan « dans les journaux les départs en Allemagne sont totalement occultés maintenant que les convois n’emmènent plus que des requis. Il serait mal venu de rapprocher de façon ostentatoire la masse des départs, 180 à 200 par semaine, et le flux des retours, 10 ou 15 prisonniers » Retours que « Ouest Eclair » a depuis quelques temps réduits à des entrefilets.

Les Préfets consignent dans leurs rapports que « les réquisitions concentrent toute l’attention. On continue de qualifier les départs en Allemagne de déportation, par contre on ne croit pas au retour compensateur des prisonniers et l’on critique les critères de choix des libérés… Cette seconde relève a été achetée cher, Hitler annonce les retours de 50.000 prisonniers le 19 mars… mais le 2 avril, une note signale aux délégués qu’elle est terminée ».

Dans une situation internationale qui s’est modifiée, Vichy agite la menace bolchevique. Pour tenter de justifier cette odieuse collaboration avec les nazis, Vichy joue la culpabilisation et Brinon déclare en juillet 43 « l’heure est au sauvetage de la France », elle doit expier sa défaite. La seule rédemption est le sacrifice par le travail.

La troisième action Sauckel ne débouchera sur aucune libération « elle sera cette troisième relève celle des prisonniers transformés… les réfractaires sont de plus en plus nombreux, les permissionnaires ne repartent pas ». Viendra l’automne 43, la prédominance de Speer sur Sauckel et le changement de méthode. Il y aura bien « une quatrième relève, la relève de la relève avec échange individuel et nominatif d’un vieux (travailleur de plus de 45 ans ayant travaillé en Allemagne pendant plus d’un an et demi) par un jeune des classes 40-42 de la même catégorie professionnelle » mais elle ne joua que peu.

« Yves Durand publie un bilan qui estime que 90.747 retours ont eu lieu au titre de la Relève ; seconde cause de libération après le rapatriement sanitaire qui concerne 180.000 hommes. Il établit une proportion de 1 pour 5 à 6 travailleurs. Le chiffre le plus étonnant concerne le Loir et Cher ou 1 PG aurait été libéré… pour 27 départs ».

Et Françoise Passera de conclure : « Au début, pendant l’été 42, les Calvadosiens ont bien voulu croire à la relève sans être vraiment convaincus ; mais très vite , ils en reviennent à leur premier sentiment : la relève est un leurre. La libération des prisonniers ne compense en rien l’ampleur des réquisitions et n’efface pas non plus le traumatisme que provoque le départ des jeunes au titre du STO. Le Gouvernement n’est plus en mesure de négocier quoi que ce soit. Bien sûr, il se satisfait du retour des prisonniers mais l’enjeu est maintenant d’une autre importance. Combattre le bolchevisme pour se maintenir à la table des négociations auprès de l’Allemagne est, pour lui, une nécessité absolue. Le prix à payer pour un pays vaincu est l’adhésion, sans condition, à l’effort de guerre allemand ».

 

Un ratio d’exception !

 

  • Le Calvados a fourni 2.647 spécialistes (300 en relève volontaire ; 1035 en relève forcée en 1942 ; 1312 en 1943).
  • Sur les 14.000 prisonniers du département, 1.100 ont été libérés (dont 50% d’agriculteurs) – soit 1 retour prisonnier pour 2 à 2.5 départs travailleurs… ratio d’exception (3 départs pour un retour prévu).
  • Le poids de l’industrie métallurgique, une administration docile et une Feldkommandantur efficace ont permis l’envoi d’un nombre plus important d’ouvriers que dans d’autres départements.
  • La nécessité de répondre au poids de l’occupation locale par une production agricole accrue et la prédominance du secteur primaire a, en contrepartie, favorisé le retour des prisonniers.
  • La structure économique du Calvados explique en grande partie ce ratio d’exception.