18 Février 2013, Gare de l’Est à Paris

En présence d’un représentation du Président de la République et sous le haut patronage du ministre délégué à la défense et aux Anciens Combattants et Victimes de Guerre, le 70ème anniversaire de la loi du 16 Février 1943 créant le STO a été solennellement rappelé devant la plaque mémorielle apposée dans le hall de la gare de l’Est à Paris.

Les derniers témoins, victimes du travail forcé en Allemagne nazie, entourés de nombreux enfants et petits enfants venus de plusieurs départements et de la région parisienne, participaient à cet hommage en mémoire de ces quelques 650 000 victimes du Travail Forcé partis de toutes les gares des zones libre et occupée entre 1941 et 1945.

Dans son allocution le Président de la Fédération des Victimes du Travail Forcé, Jean Chaize, rappelait l’épreuve subie par ces Victimes de la Déportation pour le Travail Forcé en Allemagne Nazie.

 Inauguration de la plaque en Gare de l'Est

Inauguration de la plaque en Gare de l'Est


Gare de l’EST, 18 Février 2013

Le 15 mars 1943 au petit matin, Pierre LASCAUX, instituteur dans un petit bourg du Limousin débarque ici en gare de l’Est avec un groupe de jeunes des classes 40, 41, 42. Ils étaient partis la veille, au matin de Limoges. La gare était gardée par l’armée allemande et les parents n’avaient pas accès au quai de départ.

Paris, la gare de l’Est au petit jour : des trains venant de plusieurs directions déversent leurs mêmes cargaisons. Combien sont-ils ces jeunes hommes de 20 ans dans ce hall ? Hier libres, ce matin esclaves. Cassés, soumis, le regard hébété, perdus dans on ne sait quel rêve : 500, 800 ?

Soudain une voix retentit : Français, prenez vos bagages et gagnez le quai 4 direction Berlin. Des policiers canalisent la foule et la pousse vers le quai. La gare est sous surveillance étroite des agents de la REICHBANN qui contrôlent tout avec l’aide des troupes d’occupation. C’est fini. L’instituteur Pierre LASCAUX est livré à l’Allemagne nazie il roule vers un destin inconnu. Il se retrouvera deux jours après, manœuvre à la REICHBANN de la gare GLEIWITZ en Haute Silésie à l’entretien des voies. Leporte plume de l’instituteur est remplacé par la pioche, la pelle et la fourche, il faut caler les rails, changer les aiguillages.  

Pierre LASCAUX est l’un de ces dizaines de milliers de jeunes français qui sont partis sous la contrainte et la menace pour le travail forcé depuis cette gare de l’Est et que rappelle, ici, la plaque mémorielle inauguré en 1993 par Louis MEXANDEAU secrétaire d’Etat aux ACVG. Ouvriers, professions libérales, paysans, étudiants de tous niveaux : polytechnique, étudiants de la rue d’Ulm, de la rue des Saint Pères,  des écoles d’ingénieurs, de commerce, des universités sont partis de cette gare.

A Orléans, de violentes manifestations ont lieu sur la voie pour empêcher le départ du train de Requis du STO. Certains s’échappent. Ils sont repris et ramenés avec brutalité. Les allemands entourent le train. L’armée patrouille dans les wagons. Interdiction de se mettre aux portières. Toute manifestation verbale sera réprimée.

Dans le même temps en zone libre, des gares de Marseille St Charles, de Montpellier, de Bayonne, de Toulouse, de St Etienne, de Lyon les mêmes convois, encadrés par la gendarmerie les GMR filent sur Dijon puis sur l’Allemagne. Avec la complicité des cheminots des manifestations violentes se déroulent un peu partout pour stopper ou ralentir les départs pour l’Allemagne. Celle de ROMANS, celle de MONLUCON demeurent dans les mémoires.

Un mois plus tôt, le 13 février avaient été publiés conjointement Loi et Décret d’application instituant le STO, le Service du Travail Obligatoire de 2 ans pour tout français âgé de plus de 20 ans. L’Allemagne a un besoin impérieux de main d’œuvre. Déjà, en 1942, 240 000 français ont été raflés au titre de la relève des Prisonniers de Guerre et de la loi du 2 septembre 1942, prémices du STO. Mais le 31 janvier 1943 l’armée allemande capitule devant Stalingrad et laisse 330 000 prisonniers aux mains de l’armée rouge. Il faut les remplacer et dégarnir les usines. Répondant aux ordres d’Hitler, SAUCKEL, celui que l’on nommera plus tard le négrier SAUCKEL, exige début février 250 000 hommes avant mai 43. Le 13 février sont publiés conjointement Loi et Décret d’application instituant le Service du Travail Obligatoire de 2 ans pour tout français âgé de plus de 20 ans. Les jeunes nés en 1920 1921 1922 sont les premiers touchés. Les recensements se tiennent dans tous les départements, et les premiers départs pour l’Allemagne ne tardent pas.

Les Préfets ont reçus des ordres bien précis et chaque département doit livrer son contingent de travailleurs forcés. Gendarmerie, police, GMR, tous les services de l’Etat sont mobilisés pour satisfaire l’occupant dans le délai exigé. Intimidation auprès des familles, menaces sur les frères, les pères, pour remplacer les défaillants.

Le 31 mars l’objectif est atteint 250 259 jeunes ont été livrés à l’Allemagne. Le 1er Mai SAUCKEL exige encore 220 000 hommes dont 120 000 pour fin mai et 100 000 fin juin. Le 6 août SAUCKEL exige encore 500 000 travailleurs. La population est secouée par ces départs, ces arrestations, ces rafles dans la rue, à la sortie des cinémas, des usines. Elle regarde avec effroi cette politique de collaboration conduite ouvertement par LAVAL.

La Résistance et les maquis encore embryonnaires ne peuvent accueillir ceux qui refusent le diktat du gouvernement de VICHY. Dans le premier semestre de 43 qui veut et peut cacher un STO ? Où trouver nourriture, équipement et cachette ?

Le 15 avril 1943, le journal clandestin COMBAT écrit “Travailleur français, n’oublie pas, toi qu’on a embarqué de force. Tu n’es pas un volontaire, mais un forçat. Tu n’es pas un travailleur, mais un déporté.

Le 14 juillet 1943, le général de Gaulle dans son discours au Forum d’Alger déclare.. (je cite) : Sous l’action combinée de l’ennemi et des traîtres qui le servent, c’est par dizaines de milliers que se comptent les braves, morts pour la France aux poteaux d’exécution, c’est par centaines et centaines de mille que sont pris et déportés nos ouvriers, nos paysans, nos bourgeois.

En juillet sous l’impulsion d’Yves FARGE, la Résistance crée le Comité d’Action contre la Déportation. En zone occupée et plus particulièrement en zone libre les maquis, mieux organisés accueillent plus facilement les réfractaires du STO. Fin août 172 000 esclaves seulement sont livrés à l’Allemagne. De juin 1942 à juillet 44 plus de 600 000 travailleurs forcés furent livrés à l’Allemagne.

La France est ainsi le seul pays occupé d’Europe où le gouvernement a livré lui-même ses enfants à l’Allemagne. Dans tous les autres pays, Belgique, Pays Bas, Tchécoslovaquie et autres ce sont les gauleiter qui se chargent de livrer à l’Allemagne les hommes et les femmes dont elle a besoin.

 C’était il y a 70 ans.

Nous sommes rassemblés devant cette plaque mémorielle pour commémorer le drame vécu par ces jeunes français livrés à l’Allemagne nazie pour le travail forcé. Nous avons voulu que cette commémoration se tienne en cette année 2013 alors que les derniers témoins de ces sombres années puissent y participer. Demain il sera trop tard et la mémoire sera diluée. Notre demande a été entendue et nous remercions ceux et celles qui nous ont aidés.

La France, celle de la Libération, celle où à l’indifférence générale, surgissaient de partout des résistants jusque là inconnus, la France refusa de regarder en face ce que ses institutions, collaborant avec l’occupant, avait fait de ces jeunes livrés aux nazis. Oubliant que plus de 3 millions de français avaient travaillé en France pour approvisionner l’Allemagne et son armée, à leur retour en 1945, on reprocha aux requis du STO d’être partis travailler pour l’Allemagne. Il fallait faire oublier à la France la défaite de 1940. Les 600 000 rapatriés en 1945 ont servis de victimes expiatoires de la défaite. 

“L’Homme qui n’appartient pas à la race supérieure ne compte pas“. C’est le concept raciste de la doctrine nationale socialiste. « Dans les territoires occupés que nous contrôlons, nous ferons travailler jusqu’au dernier pour nous » déclarait Hitler en 1941. C’est ainsi que les requis, les raflés, sans aucune protection internationale, comme l’étaient les Prisonniers de Guerre, couverts par la convention de Genève, furent contraints, parfois dans des conditions inhumaines, d’assurer de basses besognes dans les complexes sidérurgiques ou dans les usines souterraines d’armement. 

Soumis à une surveillance incessante par les polices allemandes dont la Gestapo, toute incartade était sanctionnée. La plus terrible était le séjour dans l’un des innombrables camps de travail gérés par les SS où tant et tant de français sont morts d’épuisement au bout de 2 semaines de sévices cruels. Ceux qui en réchappaient rentraient au camp dans un tel état qu’ils refroidissaient les plus audacieux dans le refus de respecter les cadences de travail.

Résister en Allemagne relevait d’une audace exceptionnelle. Développer des actions interdites conduisait au camp de concentration. Les historiens ont comptabilisé près de 8000 français arrêtés pour sabotage ou pour menées anti allemandes et transférés en camp de concentration. Combien n’ont pas survécu ? Combien de jeunes des classes 40, 41, 42 du camp de Buchenwald ont disparu dans le convoi de la mort ?

Entre 35 et 40 000 français requis du STO ne sont pas revenus. Morts dans les bombardements, pendus, fusilles, décapités, morts sans soins de maladie, disparus, exécutés froidement par les SS sans jugement comme à DORTMUND le vendredi saint 1945, à BERLIN, à LANGENAU, ULM, à BRANDENBOURG où des cheminots de la région parisienne arrêtés pour sabotage eurent la tête tranchée à la hache le 13 septembre 1944.

Que reste-t-il de cette tragédie dans la mémoire collective ? Nombreux, très nombreux sont nos compatriotes, nés après 1945, qui ignorent l’histoire de pans entiers de la période 1940-1945 jamais enseignée à l’école. Si les héros sont souvent connus, les victimes restent toujours dans le trou noir de l’oubli ! Par euphémisme, on substitue à la “déportation pour le travail forcé“ les termes de : “prélèvements de main d’œuvre au bénéfice de l’occupant“. 

Rares sont ceux qui aujourd’hui s’engagent pour nous aider à maintenir la mémoire du travail forcé. C’est dire combien nous apprécions la qualité de l’engagement de Monsieur le ministre des ACVG, de ses collaborateurs, de la Direction générale de l’ONAVG, de ses services parisiens, de la Direction de la SNCF qui ont mis en œuvre les moyens indispensables pour assurer le succès de cette commémoration.

De quoi demain sera-t-il fait, alors que les derniers témoins auront disparu ? Maintenir la mémoire reviendra aux générations qui nous succèdent. La présence à cette cérémonie de nombreux de nos enfants, petits enfants, parents, amis et d’enfants de requis pour le travail forcé aujourd’hui disparus, est un formidable encouragement pour perpétuer, demain, le Devoir de Mémoire.

2013 marque le 50èmeanniversaire de la réconciliation franco-allemande. Cette réconciliation passe nécessairement par le maintien réciproque de la Mémoire de deux peuples hier antagonistes. Notre pardon doit être à la mesure de la contrition que la jeunesse allemande porte sur le passé de leur pays ; c’est là le ciment de cette réconciliation.

Reste enfin, pour notre catégorie de Victimes de guerre, la reconnaissance, par la République, du lourd passé de la collaboration d’un gouvernement, dit provisoire, mais élu par les parlementaires de la IIIème République. Il ne s’agit pas ici d’une repentance, mais de la reconnaissance que c’est bien le gouvernement de la France de 1940 à 1944, qui a livré sa jeunesse à l’Allemagne nazie. C’est, pour les derniers témoins encore présents, une demande pressante. Sera-t-elle entendue ?

Evoquer un passé douloureux, marqué par toutes sortes de compromissions auxquelles des français se sont livrés, honorer ceux qui en furent les victimes ou les héros : ceux des camps d’extermination, de concentration, des camps de captivité, de travail forcé, est un devoir à toujours conserver. Les miasmes de ce passé, ces idéologies perverses ne respectant plus l’Homme, l’écrase, le détruise ne doivent plus gangrener l’avenir de nos enfants, de toutes les générations. Pour les jeunes d’aujourd’hui, c’est la mission impérieuse à conduire.

Les halles de gare ne doivent plus jamais rassembler des esclaves en route vers des lieux sinistres, des lieux de déchéance. Elles doivent accueillir des foules avides d’espaces, de lumière, de soleil, d’espoir…

Avides de conserver la Paix, signe de liberté. 

Si cette commémoration d’une épreuve qui nous a volé les meilleures années de notre jeunesse peut servir à éviter les errements, les abandons et les drames des années noires de la défaite et de l’occupation, pour une contribution, même modeste, aux efforts de respect de “l’autre“, du développement de ces valeurs cardinales portées par nos pères qui ont fait la France, alors, oubliant notre âge, nous aurons rempli notre mission.

A tous et à toutes, merci de nous avoir accompagné devant cette plaque mémorielle, dans cette gare imprégnée de l’histoire heureuse et douloureuse de ces 100 dernières années.