Henri BRAUN

Président de l’Amicale des Rescapés des Arbeitserziehungslager (AEL)

Mesdames, Messieurs, mon témoignage portera sur les camps disciplinaires A.E.L (Arbeitserziehungslager) – camp de rééducation au travail.

Je me présente : Henri Braun, né le 25 juillet 1923 – fils d’Alsacien – Participant à la manifestation des étudiants et lycéens le 11 novembre 1940 à l’Arc de Triomphe à Paris contre l’Occupant .

Après avoir échappé à mon incorporation dans l’armée allemande en 1942, je n’ai pu me soustraire à une réquisition émanant des autorités Militaires allemandes, sous peine de sanctions par celles-ci, pour aller travailler en Allemagne comme ajusteur à la Firme Optische Fabrik Böhler à Francfort sur le Main.

Le travail : 72 heures par semaine pendant un mois, le suivant, 84h, à raison de 12 h par jour, sans aucun jour de repos, avec en alternance une semaine de jour, une semaine de nuit. Ces cadences devenaient insoutenables, aussi de nombreux actes anti-nazis furent commis par nous tous.

Manque de chance, le 20 mai 1944, j’ai été surpris et arrêté pour sabotage, puis indiscipline et refus de travail. Prison de Francfort/M - N° d’écrou 4066, puis le 22 mai, autre prison N° d’écrou 1931. Dans celles-ci nous mourrions littéralement de faim, dans la vermine, incroyable aussi.

A la mi-juin 1944, destination l’A.E.L d’Heddernheim jusqu’au 22 octobre 1944, comme le prouve un document exceptionnel émanant de la Gestapo, en ma possession, sur lequel une des deux mentions A.E.L ou K.Z était à rayer. Pour moi ce fut l’A.E.L, la mention K.Z ayant été rayée.

Le temps de parole m’étant très limité, je ne décrirai donc pas ce que fut mon camp.

Maintes et maintes fois le cinéma, la télévision nous ont montré toute l’horreur des camps K.Z.

Les A.E.L étaient absolument identiques à ceux-ci. Promiscuité, famine extrême, travaux très pénibles, mortalité impressionnante, maigreur extrême des détenus. Personnellement de 68/70 kg, je suis arrivé à moins de 38 kg, les autres également. Encore jeunes, nous devenions des vieillards. La faim, encore la faim, toujours la faim. Nous étions devenus des squelettes ambulants.

L’historienne allemande Gabrielle Lofti , en s’appuyant sur une énorme documentation et témoignages, démontre, dans son livre « K.Z der Gestapo » (les K.Z de la Gestapo) la similitude des A.E.L avec les K.Z, les uns appartenant à la Gestapo, les autres à la S.S.

Que penser des déclarations de Kaltenbrunner, adjoint de Himmler, dans lesquelles il reconnaissait en 1944 : « Je dois tout d’abord constater que les A.E.L de la Police de Sécurité ne constituent pas un séjour de tout repos, les conditions de travail et de vie sont généralement plus dures que dans les camps de concentration ».

De même, ne lit-on pas dans une brochure éditée par le Service de Presse fédéral autrichien « Résistance et persécution en Autriche de 1938 à 1945 » à la page 42 : « des conditions sanitaires déficientes , une alimentation insuffisante et des sévices créèrent dans les camps de rééducation au travail, des conditions semblables à celles des camps de concentration qui s’aggravèrent sensiblement à la fin de la guerre ». Oui, en fait, les A.E.L étaient bien des camps de concentration.

Si le S.I.R (Service International de Recherches) d’Arolsen a dénombré en 1976, dans un répertoire provisoire, 104 camps, les historiens allemands Lothar Wand et Gerhard Birk en indiquent 211 dans leur livre « Zu Tode Geschnden » (maltraités jusqu’à la mort).

En France, à part le petit livre sur ces camps de J.P Gamoty, auquel j’ai participé dans la rédaction, rien n’a été édité spécifiquement sur le sujet. Ceux-ci sont complètement ignorés du grand public, mais aussi très partiellement connus des Pouvoirs Publics.

Parmi les milliers de Français qui ont connu l’enfer de ces camps, très peu ont survécu.

Ceux-ci, à leur retour, n’en ont pas parlé, ou très peu à leur famille, à leurs proches, tellement leur épreuve était à peine croyable. Les raisons de leur internement : actes anti-nazis, refus de travail, indiscipline, nombreux sabotages, tentatives d’évasion, etc.

D’après un document du SIR du 17/08/1976, la durée de l’internement était passée à 56 jours, mais la réalité a été tout autre, puisque d’après les témoignages de survivants, dont le mien, il est prouvé que cette durée, pour les plus forts, a été largement dépassée, ce qui est confirmé par la lettre du Ministère des Finances allemand du 27/07/1987 qui donne « de quelques semaines à plusieurs mois ». Ces témoignages , ce document détruisent tous les arguments de rejet de nos Ministres successifs aux A.C.V.G qui ont toujours refusé le titre d’Internés aux survivants, prétextant qu’ils ne pouvaient atteindre les 90 jours d’internement exigés.

Mais pourquoi avoir créé ces A.E.L alors qu’existaient déjà de nombreux camps de concentration. La raison, Gabriele Lofti la donne. Ce sont les industriels allemands qui voulaient punir leurs travailleurs fautifs pour un temps seulement, afin de les récupérer après leur « remise dans le droit chemin ». C’est sous la pression de ces industriels que la Gestapo créa ces AEL, car en camps de concentration, cette main-d’œuvre si difficile à obtenir, ne pourrait plus leur être rendue.

Concernant le travail, aucun détenu ne travaillait dans les usines, contrairement à ceux des camps de concentration.

De 12h à 14h par jour dans la manutention, déchargement de wagons de sable, de ciment, de laine de verre (la première fois que j’en voyais), déblaiement après bombardement, abattage d’arbres, terrassements, construction de bunker, etc., et plus dangereusement le déterrement de bombes non explosées. IL y eut des morts parmi nous.

Le camp était géré par des SD (Sicherheitsdienst) et gardé par des SS à tête de mort (totenkopf) ainsi qu’à un certain moment par des Russes de l’Armée Vlassov, dont certains désertèrent en voyant ce qui se passait dans le camp, de nombreuses pendaisons entre autres.

Les détenus étaient commandés par des Kapos de différentes nationalités pris parmi les plus anciens, mais aussi les plus serviles. Ils étaient aux ordres des SD.

Les détenus, de toutes nationalités. Parmi les Français, quelques maquisards arrêtés en France, tel ce jeune, fait prisonnier au Plateau des Glières ou encore cet autre de 19 ans d’Aubervilliers qui a été pendu car trop bavard sur ses exploits dans la Résistance, malgré nos conseils de prudence.

Les brutalités journalières ne se comptaient plus pour des raisons futiles, de la part des Kapos, les SD en riaient. Je porte encore des traces de coups de chaîne à la figure.

En raison des conditions sanitaires très réduites, de nombreuses maladies se déclaraient : diarrhée, furonculose, douleurs abdominales et intestinales, scorbut aussi, etc.

Les plaies dues aux coups et accidents ne guérissaient pas ou très difficilement.

J’en ai eu ma part. L’approche du crématoire grandissait rapidement pour les plus faibles en raison de l’affaiblissement des détenus, souvent après un mois et demi, c’était la mort.

Contre tous actes de rebellions, la répression était vive. Outre les pendaisons, il est arrivé un jour qu’une révolte s’étant déclenchée dans une partie du camp et dont je n’ai jamais connu les raisons, n’étant pas concerné, mais passant assez près, une rafale de mitrailleuse venant d’un des miradors, stoppa tout net celle-ci. Bilan : plusieurs morts et une dizaine de blessés, dont je fus, une balle passant sous mon aisselle, je fus touché à la main gauche, une chance pour moi. Quatre agrafes, un pansement et de nouveau « en état de travailler ».

Dans un autre témoignage, je décrirai mes maladies et blessures diverses, et ce qu’était la prison préventive, ce serait trop long ici.

Conclusion :

Puisse ce témoignage faire comprendre au grand public, à la France, qui n'a jamais voulu reconnaître comme lieux de détention nazis, et de fait la qualité d’Interné à tous ceux qui ont connu ces sinistres camps, qu’il s’agissait bien d’un crime contre l’Humanité, un de plus, que tous les Pays d’Europe ont reconnu. Seule la France, Pays des Droits de l’Homme, comme on se plaît trop à claironner, s’y est opposée à ce jour. On peut se poser la question : Pourquoi ?

Ces camps d’horreur représentaient l’Epée de Damoclès permanente au dessus des têtes des allemands, mais aussi de tous les travailleurs étrangers qui vivaient dans l’éternelle crainte.

Je lance un vibrant appel à nos plus Hautes Autorités pour que raison soit donnée, à la mémoire de nos milliers de camarades qui sont restés en terre d’exil, et à ceux qui, rares survivants, ont été meurtris dans leur chair et leur âme jusqu’à la fin de leurs jours, eux qui ont tant aimé la Patrie, en leur attribuant la reconnaissance officielle d’Interné.