Les Français dans les rangs des partisans slovaques

L’evasion de 182 Français de l’usine SKODA

En juin 1944, 200 jeunes des Chantiers de Jeunesse STO arrivèrent à l’usine Skoda de Dubnica. Grâce à la population slovaque très francophile, le lieutenant Georges LAURENS, chef de groupe Chantiers, prenait contact avec la Résistance. L’objectif : réussir une évasion collective et rejoindre les Français du Capitaine de LANNURIEN et sa brigade STEPHANIK luttant aux côtés des maquisards de l’armée de TITO. Cette brigade, de 200 Français auxquels s’étaient joints une trentaine de partisans parlant français et qui s’illustra dans la bataille de STRECNO était constituée, au départ, de 147 Prisonniers de Guerre évadés en Hongrie auxquels se sont joints 50 Requis et STO évadés de DUBNICA. Fin août 44, avec Georges LAURENS, 54 jeunes STO, pour moitié du groupe des Chantiers de Jeunesse, réussissaient à s’évader. Ils seront les seuls qui auront la chance de rejoindre la brigade Stéphanik du capitaine de LANNURIEN. Ils ont ainsi participé à l’insurrection du 29 août et à la bataille de STRECNO. Ce fait d’armes, évoqué, il y a quelques années, par des participants dans l’un des numéros de notre journal, a fait l’objet d’une citation à l’ordre de la nation signée, depuis Moscou, par le Général de Gaulle, le 9 décembre 1944. Plus tard, le 26 mars 1945, Georges LAURENS, surpris dans la montagne par un groupe de SS, tombait à la tête de ses hommes, mortellement frappé d’une rafale de mitraillette.

Une demi-douzaine d’évasions de groupes de STO se sont échelonnées de septembre 44 à février 45. Certains de ces évadés furent arrêtés, ramenés en Autriche et internés à Auschwitz. La dernière évasion, la plus spectaculaire, préparée dans le détail par les chefs Chantiers Pierre BERNIOT, Pierre TOURNU, toujours en relation avec les maquisards, eut lieu dans la nuit du 4 au 5 février et rassembla 182 Français. Elle se déroula entre 19 et 20 heures, à l’heure de la relève à l’usine et du mouvement de foule pour tromper la surveillance des gardiens et des sentinelles. La colonne des évadés disparut rapidement dans la forêt toute proche. Par les coursières, guidé par des maquisards aux points des carrefours, ces 182 jeunes gravissent la montagne en direction du village de VALASKA BELA où devait se faire la jonction avec les maquisards. Ceux qui ouvraient la piste avaient souvent de la neige jusqu’au ventre.

 


André GIRAUD, l’un des 182, témoigne

CertificatAppelé aux Chantiers de Jeunesse en novembre 1942 au camp de MONTMARAULT (Allier) le 4 juillet 1943, emmené à Limoges en tenue verte des Chantiers, nous sommes livrés aux nazis pour travailler en Allemagne. Un long convoi est formé en gare surveillé par des militaires en armes : Milice française et Wehrmacht. Ils nous accompagnent jusqu’en Autriche. Impossible de fuir au risque d’être tués comme des lapins.

Arrivés le 7 juillet à VIENNE, nous sommes hébergés dans un sinistre camp de 22 000 travailleurs de toutes les nations, il est dans un état lamentable ! Il faut pourtant y vivre ! Contraint et menacé du pire, je dois travailler 12 heures par jour avec la faim au ventre et une seule journée de repos par mois. Nous fabriquons des moteurs d’avions Mercedes-Benz. Bombardée de nombreuses fois, détruite en grande partie, en juillet 1944, elle est transférée dans l’immense bunker souterrain de l’usine SKODA à DUBNICA (Slovaquie).

Une vie nouvelle commence. Nous apprenons par nos chefs Chantiers, qui ont pris des contacts avec des émissaires Slovaques et Russes, qu’il se forme à proximité un maquis pour combattre l’envahisseur. Je participe au freinage du travail, au sabotage de pièces et de machines, au vol même. Avec un camarade, nous portons des plis secrets à un espion slovaque, Jean KOVALICK, dans la ville voisine, TRENCIN, à nos risques et périls.

L’évasion est décidée et préparée avec beaucoup de soin. Le 4 février au soir arrive l’ordre de partir. Je rentre juste du travail.

Je prends mon sac qui était en attente et m’élance dans la nuit noire avec mes 180 camarades. Une évasion spectaculaire ! Il faut faire très vite car si nous sommes rattrapés par les 300 SS qui gardent l’usine, nous sommes certains de mourir atrocement. C’est une nuit affreuse, très dure à travers cette immense forêt des Tatras. Il fait -30°C et la neige est très épaisse.

Au travers de beaucoup d’embuches et à la limite de nos forces, nous rejoignons le 5 février vers midi la brigade des Partisans qui nous attend dans un petit village où nous recevons armes et munitions. Nous sommes répartis dans plusieurs villages de la montagne. Je suis affecté au 9e bataillon « Jean ZISCA » commandé par le commissaire SEDLAR. C’est là que débute mon combat volontaire aux côtés des maquisards Slaves en terre étrangère pour la liberté des Peuples et la gloire de ma Patrie. Bien dirigés par nos chefs, nous traversons des moments très difficiles. Nous effectuons beaucoup de patrouilles et de gardes jour et nuit. Nous détruisons tout ce qui peut aider l’ennemi : voies ferrées avec convois, pylônes électriques, lignes téléphoniques ; nous neutralisons les avant-gardes sur les routes, etc... Les engagements de guérilla sont fréquents avec les soldats nazis qui cherchent toujours à nous surprendre, il faut se défendre ou mourir !

Dans ce massif montagneux enneigé, nous souffrons du froid intense, de la faim et de la soif ; la dysenterie tenace, la vermine et les engelures nous rongent. Nous sommes tous épuisés après des jours et des nuits d’alerte et de combats.

L’armée Rouge avance, nous quittons la montagne et les bois, laissant derrière nous les corps des partisans Slaves conge- lés. Nous faisons la jonction avec l’armée soviétique et roumaine le 9 avril à URHOVEN, haut lieu de combats. Avec ces armées nous participons à la libération de la ville sous la mitraille. Je continue à servir sous commandement et encadrement russe. Avec ces soldats nous commençons une longue marche vers BUDAPEST où nous arrivons le 25 avril après avoir traversé beaucoup de villes dévastées où nous faisions le “nettoyage“ à nos risques et périls. Les armes automatiques crépitaient toujours !

Le 28 avril, avec l’armée russe, nous reprenons la route au milieu des mêmes dangers pour arriver le 2 mai à BELGRADE libérée par le Maréchal TITO et ses partisans.
Nous sommes enfin LIBRES. Le 15 mai, par avion, nous rejoignons Naples et le commandement américain. Nous recevons les premiers soins avant d’être rapatriés un mois plus tard, par bateau, vers Marseille. Le 19 juin je retrouve ma famille.

Plus de 60 ans après, je n’ai aucune reconnaissance Française de cette Résistance, les armes à la main. Je suis un inconnu, un laissé pour compte, un oublié de l’Histoire d’une période noire. Je suis très inquiet et profondément déçu de voir bon nombre de personnes des deux générations d’après guerre qui, par absence d‘informations ne sachent pas pourquoi ils vivent dans un pays LIBRE.

André GIRAUD, Ancien des maquis slovaques, Victime de la Déportation du Travail

 

 


 

Combien de Français évadés d’Autriche et plus spécialement de Dubnica ont rejoint les maquis slovaques ? Une estimation de 400 et plus n’est pas exagérée. Une quarantaine, qui avait rejoint les partisans slovaques fut arrêtée en décembre dans la région de CILLI et transférée au camp de DACHAU.

57 Français ont été tués au combat. Leurs noms sont gravés sur la stèle érigée en 1956 à STRECNO. Il n’est pas inutile de rappeler le texte gravé sur l’une des faces du monument :

« Que s’épanouisse la fraternité née des flammes de l’insurrection. Que les fleurs des champs ornent les tombes des braves à la gloire éternelle des fils de France portés par « La Marseillaise » à des exploits héroïques et tombés en vainqueurs dans la lutte commune pour notre bonheur et celui de l’humanité. »

Rappeler ces événements sans les replacer dans leur contexte historique ne serait pas respecter la Mémoire. Soixante-sept ans se sont écoulés depuis ces faits. Les passions se sont atténuées et l’Histoire est abordée avec plus de sérénité. Se reportant au livre de Pierre MARTIN Mission des Chantiers de Jeunesse en Allemagne paru en 2001 chez l’Harmattant, nous reprenons le témoignage de Pierre Martin sur cet épisode slovaque.

« Reprendre la lutte les armes à la main, participer personnellement et directement aux combats de la Libération, après le débarquement allié en Normandie, tel était le désir qui brûlait au cœur de nombre de Chefs Chantiers en Allemagne aux premières nouvelles des événements de France. Pendant quatre longues années, ils s’étaient préparés moralement à cette action...

Une action, les armes à la main, ne pouvait se concevoir que grâce à des circonstances exceptionnelles, et plus particulièrement, dans les territoires extérieurs de l’ancienne Allemagne, où vivaient des populations non allemandes pour qui la Wehrmacht était considérée comme des troupes ennemies en Occupation. C’était le cas en Slovaquie, où le 29 août 1944, l’Insurrection nationale slovaque fut proclamée et où, pratiquement, toute l’armée slovaque, avec armes et bagages passa au maquis. Des Français, prisonniers de guerre évadés, puis des groupes de Jeunes des Chantiers requis, STO ont combattu aux côtés des maquisards slovaques. »

Ne l’oublions pas ! C‘étaient des Résistants qui, comme ceux, Résistants en France, ont droit à notre respect et à notre reconnaissance.